Les dossiers des dix premiers clients d’une carrière captivent, stimulent, ébranlent, enrichissent, électrisent et fascinent.
Rapidement pourtant, certains schémas deviennent familiers, se répètent et se ressemblent dans le vice, le mensonge, la manipulation, la fraude ou le plaisir de nuire. Difficile, dans cette profession, de prétendre
avoir tout vu. Il serait vain néanmoins de penser que les stratagèmes sont sans fin.
L’inventivité se fait rare quand il s’agit de tromper, d’occulter ou d’instrumentaliser ; et pour cause : les manœuvres efficaces traversent le temps, se murmurent et se perpétuent.
L’expertise acquise à chasser les aigrefins et les imposteurs a des conséquences concrètes. Nombre de détectives portent un regard désabusé sur l’essence de l’Homme. À mesure que les années passent et que les dossiers s’entassent, certains s’enferment dans une vigilance excessive que d’aucuns nomment “paranoïa”. D’autres, peu à peu, renoncent à miser le moindre cent sur l’âme humaine.
Et puis il y a ceux qui, dotés d’une étrange invincibilité, s’accrochent à leurs habitudes, leur prudence bien moins affûtée que celle qu’ils recommandent à leurs clients avec force.
Je fais partie de celles qui ont l’œil averti, mais pas trop appuyé ; prête à l’action, mais attachée à la légèreté. Je m’efforce de trouver un juste milieu entre une confiance aveugle et une attention
démesurée.
Il y a parfois lieu de s’interroger : notre métier aurait-il façonné cette perspective avec laquelle nous considérons les autres ? Ou existait elle déjà, en veille silencieuse, sans que nous en ayons conscience ?
Dans quelle mesure nos expériences professionnelles influencent elles notre regard sur le monde et notre aptitude à relâcher notre emprise ?
Drames conjugaux, failles éducatives, disparitions troublantes, vols, harcèlement, dissimulations en tout genre… Nous sommes aux avant-postes des préoccupations sociétales, qu’elles soient ancrées
ou passagères.
L’idée commune veut que certains maux soient l’apanage d’un profil particulier, mais nos clients fracassent les codes : médecins, ingénieurs, ouvriers, artistes, comptables ou demandeurs d’emploi ;
aucun statut ne saurait être exempt des imbroglios de la condition humaine.
Ils pourraient aussi être nos pères, nos mères, nos frères. Ils nous sont si semblables qu’en explorant leurs histoires, nous revisitons nos propres imperfections.
Simples témoins de ces fragments de vie ordinaire, nous tentons de démêler le vrai du faux, en écoutant attentivement, sans nous laisser séduire par les apparences ni emporter par des certitudes faciles.
Faut-il alors déceler le mal en tout ? Comment ne pas se laisser happer par la spirale de la méfiance permanente ? Aux premières loges de ces réalités dont nous ne sommes pas protégés, gardons à l’esprit que pour chaque acte d’opportunisme ou de duplicité, il existe aussi des élans de sincérité et de bonté qui nous préservent de l’usure des observations quotidiennes.
Article écrit par Carole Frémy, Directrice de l’agence CF Investigations.
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